Catégories
Dans le rétro Découverte Loisirs Société

Visiter le passé au Fort d’arrêt de Pré-Giroud

Les drapeaux des pays participants à la conférence de Yalta en février 1945, devant le fort de Pré-Giroud. De l’extérieur, le bunker ressemble à un chalet classique. Photo: Fort de Pré-Giroud

Avant sa réouverture saisonnière, en mai, plongée dans les entrailles de la montagne, au fort d’arrêt de Pré-Giroud, à Vallorbe

Sur la route. Météo de circonstances en ce frileux matin de mars.

Il faut imaginer le tonnerre omineux de centaines de tricounis dévalant le béton gris des escaliers. 153 marches en souliers militaires ornés de clous métalliques. Plus bas, des capotes en laine gris vert alignées contre le mur. Comment pliait-on ces manteaux quand ils étaient gorgés de pluie? Là, une rangée de fusils. Le bois est patiné, griffé, noirci par endroit. On les croit prêts à être utilisés. On se surprend à chercher dessus les empreintes de ceux qui leur caressaient la gâchette, en rêvant sans doute de ne jamais avoir à s’en servir.

Dans les dédales du fort, des fusils dans leurs râteliers. Comme s’ils venaient de servir.
56 forts ouverts au public dans le pays

La Suisse est un pays de paix. Un pays en paix. Mais au royaume de la sérénité, le sous-sol est pourtant truffé de forts, de bunkers, de casemates, de galeries. Ils sont les témoins du passé, des peurs et des stratégies d’antan pour faire face aux menaces. Alors que les experts estiment à près de 21 000 le nombre d’ouvrages fortifiés construits dans notre pays, aujourd’hui, la plupart ont été désaffectés ou… réaffectés.

C’est ainsi que j’ai visité le Fort 39-45 de Pré-Giroud, sur les hauts de Vallorbe. La garnison Détachement artillerie de forteresse 214, devenue la Compagnie artillerie de forteresse 91 dès 1943, a plié bagage depuis longtemps. Le fort est désormais un musée vivant, à destination des curieux ou des passionnés de la chose militaire. Il est aussi un lieu d’entraînement pour cours de répétitions. Ou encore une installation insolite, sorte d’escape game émouvante, où les couloirs sans fin permettent de voyager dans le temps.

Les ouvertures de tirs sont exceptionnellement réduites. Les six blockhaus et les trois fortins sont bâtis en béton très fortement armé et vibré. Les formes extérieures sont arrondies pour augmenter les ricochets.
Soutenir l’infanterie et assurer la défense

Construit en 1937, dans le plus grand secret et de façon verticale dans la roche, la mission de ce fort d’artillerie d’arrêt était de protéger la Suisse d’une invasion allemande par le col de Jougne.

«Vu l’importance de la «pénétrante Jougne Vallorbe», la défense de ce passage frontière est renforcée par la construction d’un fort d’artillerie. Décidé et réalisé de 1937 à 1939, il est complété en 1941 par la construction de trois ouvrages indépendants, des fortins».
Voici comment est décrite la forteresse, dans un livret réalisé par le capitaine André Jaillet.

Capitaine Edouard Lambelet, premier commandant du Fort de Pré-Giroud
Un accueil un brin hostile sur la route qui mène à la forteresse.
La route du passé

Aujourd’hui, ceux qui arrivent par la route passent par Vallorbe. On quitte le centre de la bourgade pour grimper et s’enfoncer dans la forêt, sur le côté sud du vallon. Il y a bien quelques fermes çà et là. On sait qu’on est sur le bon chemin quand le canon d’un char d’assaut semble pointer son gros œil menaçant pile au milieu de notre pare-brise. Entre deux toblerones de béton, des réseaux de fils de fer barbelés qu’on devine entre les fourrés et des sapins de métal en guise de camouflage. On plisse les paupières pour imaginer les routes et les ponts minés qui devaient barrer la route aux ennemis, quitte à sacrifier ses concitoyens.

Partout, des objets du passé. Comme des symboles d’une autre époque. Qui résonnent différemment aujourd’hui, en fonction de la géopolitique internationale.
Un lieu stratégique… et vertigineux

Arrivé sur la butte, un faux chalet de béton. Trompe-l’œil en dur pour ramollir l’attaquant. La vue est sublime. En contrebas, Vallorbe. Plus loin, le col de Jougne. Impossible de ne pas comprendre l’importance stratégique du lieu. La garnison d’alors, 130 hommes au plus, vivait planquée sous terre, répartie entre les six blockhaus et la casemate. Les soldats et leurs officiers protégeaient l’extérieur de l’intérieur.

Toutes les réserves en eau, nourriture et mazout pour les groupes diesel-électriques étaient prévues pour permettre une autonomie de deux mois.
Les nouvelles de l’extérieur transitaient par ce central téléphonique.
Un huis clos souterrain

Une armée de taupes héroïques dans un dédale de galeries. Elles relient entre elles les magasins de munitions, une salle des machines et une caserne. Une sorte de ville souterraine imprenable, avec groupes électrogènes, ventilateurs, sas d’entrée, dortoirs, hôpital et dentiste, central téléphonique et réfectoires. Les réserves en eau, en nourriture et en mazout devaient permettre aux hommes de tenir deux mois en autonomie. Une douche tous les dix jours et parfois, des nouvelles de la famille, là-bas, dehors.

La couchette du sergent-major Roland André. Il fêtera ses 97 ans cette année. A l’époque des cours de répétitions, en bonne maman de la compagnie, il a raconté avoir choisi d’établir ses quartiers ici, pour surveiller les allées et venues nocturnes de certains « foufous » un peu dissipés.
L’engagement des passionnés

Le fort est ouvert de mai à octobre. Pour le visiter, il faut le trouver, être bien habillé et bien se renseigner sur les horaires. Il faut dire que maintenir ouvert ce lieu fût une bataille en soi. En 1980, Pré-Giroud est désaffecté. Il ne correspond plus à l’idée que l’on se fait du combat en montagne. Menacé d’être purement et simplement rasé, rempli de sable et oublié, il devient pourtant un monument historique. Une poignée d’irréductibles s’est battue pour faire de cette forteresse le premier fort d’arrêt ouvert au public du pays. En hommage au savoir-faire des anciens, aux sacrifices de ceux qui s’y sont enterrés des années durant, à l’art de la paix en temps de guerre.

Clin d’oeil aux visiteurs d’aujourd’hui. Gageons que les soldats d’hier, s’ils avaient bien des réserves de sable pour colmater et réparer les brèches en cas d’attaque, ne songeaient pas à bâtir des châteaux sur la plage.
Pierre-Yves Moulin (à g.), président de l’Association des Amis du Fort de Pré-Giroud, et Jean-Michel Charlet (à dr.), président de la Fondation du Fort de Vallorbe, entourent un mannequin de soldat mobilisé.
Des présidents en guise de guides

Le 1er juin 1988, c’est chose faite. Aujourd’hui, Jean-Michel Charlet et Pierre-Yves Moulin m’ont ouvert les lieux. Clés en main, le premier est président de la Fondation du Fort de Vallorbe depuis plus de 19 ans. Son père y avait servi en tant que soldat. Sans jamais piper mot de ce qui se trouvait au cœur de la montagne. Secret défense. Le second, militaire de carrière, n’a jamais œuvré sous terre dans le fort d’arrêt. Mais sa passion a dicté son sens de l’engagement: il préside l’Association des Amis du Fort de Pré-Giroud.

Suivez le guide! L’aspect austère et préservé des lieux permet de ne pas oublier qu’il n’y a pas si longtemps, la forteresse était classée secret défense.
Modernisation et muséologie

La porte s’ouvre. Ça sent la roche humide et le métal. Il fait 8 degrés tout au plus et la condensation de cet hiver a trempé certaines salles. Encore des efforts et de la sueur pour les bénévoles qui entretiennent ce musée souterrain. L’an dernier, tous se sont saignés pour récolter des fonds. Il fallait changer les câbles métalliques du monte-charge mis en service par le fabricant d’ascenseurs Schindler en 1938. Le plus ancien de Suisse encore en activité. 35’000 francs dépensés pour cette relique du passé qui permet de plonger à pic 30 mètres plus bas dans les entrailles de la Terre, sans avoir à cavaler droit bas les 153 marches d’escalier.

Des kilomètres de galerie, un dédale à fuir si on est claustrophobe. Il faut imagine la compagnie rassemblée au petit jour, souliers alignés sur la ligne, prête à servir…
Ouverture en mai!

Depuis que le fort est déclassifié, la Fondation et l’Association mettent tout en œuvre pour monter des expositions et rendre le monument accessible. Guides, audioguide en cinq langues, organisation d’événements et d’expositions. La muséologie rêve de vous faire replonger dans ces années intenses. Il y a des mannequins qui représentent les soldats d’autrefois, des armes fonctionnelles, les objets trouvés sur les lieux, jusqu’aux magazines d’antan ouverts sur la table du mess des sous-officiers. Rien ne semble avoir bougé depuis la Mob. Venez vérifier par vous-même: frissons garantis!

Infos:

  • Tous les renseignements sur le Fort Pré-Giroud: ici et
  • Le 3 mai 2025, le Fort Pré-Giroud hébergera la Bourse suisse de militaria, de 9 h à 15h, à la Halle des fêtes de Vallorbe. Renseignements auprès de militariafortpregiroud@gmail.com
  • Si vous souhaitez vous engager auprès de l’Association des Amis du Fort de Pré-Giroud: amisdufort@pre-giroud.ch

Laisser un commentaire

ça roule !
Résumé de la politique de confidentialité

Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.