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Double surprise autour du chantier du Grand-Pont

Le Grand-Pont, dans son état en octobre 2022. Crédit: Service du cadastre de la Ville de Lausanne

Dès le 3 décembre, l’ouvrage rénové redeviendra accessible. Contre toute attente, il le sera aussi aux automobilistes. Une décision aux airs de concession envers les commerçants, qui restent inquiets pour le futur.

Le défi était immense. Pourtant, la Ville de Lausanne l’a relevé. Après dix mois de travaux, la rénovation du Grand-Pont est achevée. Un gigantesque chantier terminé dans les temps et dans le budget annoncé, soit 11,5 millions de francs.

Mais ce qui a sans doute surpris plus d’un, c’est sa réouverture à toutes les mobilités, y compris au trafic individuel motorisé.

De quoi on parle

Faisons un petit rappel historique pour comprendre la situation.

Une inspection réalisée en 2020 révèle que le Grand-Pont, construit en 1844, a besoin d’une cure de jouvence. Celle-ci doit viser notamment à pallier la présence de dégradations de l’ouvrage, ainsi qu’une étanchéité défectueuse. Elle permettra également la mise en place de garde-corps conformes aux exigences actuelles en la matière.

Afin de réaliser correctement ces travaux, la Ville annonce que l’ouvrage n’accueillera plus aucune mobilité dès le 17 janvier 2022.

La Ville espère terminer le chantier en 10 mois. Elle promet aux commerçants la réouverture de l’ouvrage pour les Fêtes de fin d’année.

Quelles solutions?

Reliant Saint-François à Bel-Air, c’est peu dire que le Grand-Pont se présente comme un axe cardinal de la mobilité lausannoise. L’annonce de sa fermeture laisse donc craindre le pire chez les automobilistes et chez les usagères et usagers des transports publics.

Bien consciente de l’impact de ce chantier, la Ville de Lausanne annonce donc en même temps la mise en place de mesures d’accompagnements pour toutes les mobilités.

Vers le page internet de la Ville de Lausanne consacrée à ce chantier pharaonique.

La fin des voitures?

Quelques mois plus tard, le chantier du Grand-Pont bat son plein. Et force est de constater que ce n’est pas le chaos routier à Lausanne.

De quoi réjouir Florence Germond qui voyait justement une occasion de transformer cette fermeture forcée un «petit laboratoire de travail pour les futurs enjeux de la mobilité à Lausanne », comme l’écrivait le journal Le Temps, en janvier 2022.

Il n’en fallait pas plus aux Parti socialiste, Verts, Ensemble à Gauche et Vert’libéraux pour s’entendre et demander que l’axe reste définitivement fermé aux automobilistes, scootéristes et motards. Ensemble, ils déposent en mai un postulat allant dans ce sens.

Une idée qui n’est en soi pas nouvelle. C’est en effet ce que prévoit le plan de mobilité lié à la mise en service du tram Lausanne-Renens et l’utilisation optimale des bus dits à haut niveau de service.

Garder le Grand-Pont inaccessible aux voitures à la fin des travaux devrait éviter de faire revenir ce trafic pour le bannir à nouveau quelques années plus tard.

«Le Grand-Pont doit être uniquement accessible aux bus, véhicules d’urgence, vélos et piétons», explique ainsi le socialiste Samuel de Vargas, dans le journal 24heures.

Quant à l’impact que cette mesure pourrait avoir sur les commerces du centre-ville, il n’est pas à craindre: «Seuls 25% des voitures qui passent sur cet axe s’arrêtent à Lausanne», rappelle le socialiste.

Et la gauche lausannoise, appuyée donc des Vert’libéraux, d’évoquer aussi la réduction du bruit depuis à la fermeture de l’ouvrage.

Un appel au débat

Interviewé alors dans le journal Le Temps, Xavier de Haller, conseiller communal PLR et président de la section vaudoise de l’Automobile Club Suisse, ne balaie pas la proposition. Pourquoi pas un centre-ville prioritairement piéton, dit-il. Mais selon lui, il faut un «concept global d’accessibilité au centre-ville, car aujourd’hui la mobilité implique le transport individuel motorisé, pour des raisons économiques et sociales. À notre sens, il y a de la place pour tous les modes de transport».

Ce que regrette l’avocat dans tout ceci, c’est surtout d’avoir «l’impression que la gauche avance masquée, en grappillant au coup par coup une rue après l’autre. Officiellement, elle annonce vouloir bannir les véhicules thermiques d’ici à 2030, mais dans les faits, ce sont tous les véhicules individuels qu’elle veut voir disparaître. Ayons un débat là-dessus!», suggère-t-il.

Après 10 mois de travaux

Nous sommes au début du mois de novembre. La Municipalité annonce la fin du chantier et la réouverture du Grand-Pont à la circulation le 3 décembre. Une bonne nouvelle et une première surprise pour les habituels usagers et usagères du Grand-Pont, tant l’ampleur des travaux était exceptionnelle.

Le chantier

Après dix mois de travaux, le Grand-Pont connaît effectivement une seconde jeunesse.

Les interventions menées sur cet ouvrage ont permis de remédier aux dégradations du temps. Le tablier du pont a été démoli, permettant notamment de régler les importants problèmes d’étanchéité.

Les maçonneries ont été traitées et les garde-corps remis à neuf dans le respect de l’esprit de cet ouvrage historique, de même que les mâts de drapeaux et l’éclairage public dont la consommation d’énergie a été réduite de près de 75%.

Succès pour les mesures d’accompagnement

Concernant les mesures mises en place pour accompagner les usagères et usagers, un monitoring indique qu’elles ont fait leurs preuves, assure la Ville.

Elles ont permis à la mobilité piétonne, aux cyclistes, aux bus et au trafic individuel motorisé de continuer de façon fonctionnelle et sécuritaire pendant toute la durée des travaux.

Les aménagements cyclables sécurisés créés sur le pont Chauderon et l’avenue Jules-Gonin ont quant à eux permis une augmentation du passage des vélos de 37 %.

Crédit Plates-Bandes communication

Enfin, les aménagements piétons ont facilité les déplacements à pied, avec une appropriation forte et rapide des nouvelles traversées, à l’exemple de celle établie aux Terreaux, qui comptabilise quelque 4’000 passages par jour.

La passerelle provisoire construite quasi parallèlement au Grand-Pont a permis quant à elle le cheminement de près de 13’600 personnes par jour, avec des pics à plus de 17’000 personnes pour certains jours du printemps.

Cet ouvrage, qui surplombe toujours la Place Centrale aujourd’hui, sera démonté en janvier 2023.

A gauche, la passerelle réservée exclusivement aux piétons, et à droite, le Grand-Pont en chantier.

Bilan positif pour les tl

Concernant les Transports publics lausannois, le bilan est également positif.

«Pendant la fermeture du Grand-Pont, les bus ont eu davantage d’espace, notamment pour tourner à Chauderon, nous explique ainsi Christophe Jemelin, membre de la direction des tl, responsable de l’unité Développement de l’Offre. Nous avons aussi testé des lignes prolongées ou des lignes transversales, et cela a bien fonctionné. Par exemple, la ligne 21, qui va de la gare de Lausanne au Centre patronal, fait de très bons chiffres, en termes de fréquentation. Nous allons donc conserver ce parcours, et c’est même la première fois que nous avons reçu des lettres de clients et d’entreprises, inquiets du caractère temporaire de ce parcours. Nous avons pu les rassurer en leur disant que cette ligne restera ainsi.»

Crédit Plates-Bandes communication

Le «réseau Grand-Pont», déployé durant toute la période de fermeture, a donc mis en avant certaines opportunités, permettant aux tl de renforcer leur offre à partir du 3 décembre.

Toutes les informations utiles concernant ce nouveau réseau peuvent être consultées directement sur l’application tl, en ligne ou auprès des centres clientèles des tl.

Réouverture provisoire aux voitures

Venons-en aux automobilistes. Le 10 novembre, la Municipalité de Lausanne annonce la réouverture de l’ouvrage pas uniquement aux transports publics, mais également au trafic motorisé individuel. Alors que les automobilistes pouvaient légitimement craindre de ne plus pouvoir rouler sur le Grand-Pont une fois celui-ci rénové, c’est donc une autre bonne surprise.

«Les véhicules motorisés pourront à nouveau tourner à gauche depuis le pont Chauderon en direction de l’avenue Jules-Gonin dès le 12 décembre», explique aussi la Municipalité.

Ces mesures sont toutefois provisoires: «Avec l’arrivée du tram et des bus à haut niveau de service, il était prévu depuis plusieurs années que le Grand-Pont soit dès lors réservé aux transports publics, aux vélos et piétons pour des raisons de capacités notamment», nous rappelle Florence Germond.

La durée de ces mesures dépendra donc des discussions en cours et en lien avec la procédure du tram.

Pourquoi?

Mais alors pourquoi cette réouverture provisoire? Dans son article intitulé «Le dessous du retour des voitures sur le Grand-Pont», le journal 24heures donne sa réponse.

Pour le journaliste, cette décision apparaît comme une concession faite aux commerçants: «Car en vérité, les considérations écologiques, notamment liées au Plan climat lausannois, ou idéologiques n’ont pas pesé lourd dans la décision de rouvrir le Grand-Pont aux voitures», écrivait ainsi le journal 24heures. Et de citer la municipale Florence Germond, qui admettait: «Il s’agit de gestes de bonne volonté, ou de bonne amitié, des autorités envers les commerçants.»

«Lausanne est en effet en pleines négociations avec des milieux économiques qui, par leur opposition à la suppression de la rampe Vigie Gonin, bloquent les travaux du dernier tronçon du tram jusqu’à la place de l’Europe», précisait le journaliste.

La municipalité expliquait ensuite à notre confrère être en pleine discussion avec les commerçants «afin de trouver un accord qui conduirait à la levée de leur opposition. Mais à ce jour, ce n’est toujours pas le cas».

Si elle subsiste, l’opposition pourrait en effet retarder le chantier du tram durant plusieurs années.

Agacement des commerçants

C’est que les milieux économiques sont agacés. À l’image de Laurent Buet, boulanger, pâtissier et confiseur bien connu à Lausanne, avec ses deux établissements: «Contrairement à d’autres villes, Lausanne fait tout à l’envers, nous explique-t-il. Elle créée des interdictions et ensuite elle fait des aménagements. Au lieu de faire le contraire et de voir quelles solutions trouver».

Selon lui, tout est fait pour décourager le chaland de venir en ville. «Et cela fonctionne. Très souvent des clients nous disent qu’ils ne veulent plus venir au centre, parce que c’est trop compliqué. Et ce ne sont pas les clients lausannois qui vont sauver nos affaires. Nous sommes par exemple restés ouverts durant la période du covid, par solidarité. Nous n’avons vu quasiment personne. Dans la réalité, il reste très peu d’habitations au centre-ville. Comme d’autres, la Maison Buet doit donc compter sur les clients qui viennent de l’extérieur.»

Et qui se déplaceraient souvent en voiture, si l’on en croit les propos de Claude Jutzi, président de l’Association Rue de Bourg et Saint-François, cité dans le journal 24heures. Selon lui, près de 80% de la clientèle des commerces qu’il représente se déplace dans ce moyen de transport. «On ne demande pas à ce qu’ils puissent se garer juste devant la boutique, mais dans le quartier tout de même», déclarait-il à notre confrère.

L’exemple de la rue de Bourg

Un avis que ne partage pas le socialiste Samuel de Vargas, cité pour sa part dans le journal Le Temps.

Tout en rappelant que 72% de ceux qui traversent le pont en voiture ne font que transiter, selon un rapport de l’Observatoire lausannois de la mobilité, interdire le Grand-Pont aux voitures renforcerait l’attractivité des commerces de proximité. Il en veut pour exemple la rue de Bourg, qui fut la première rue de Suisse à être piétonnisée en 1962, et qui, soixante ans plus tard, est devenue un haut lieu du commerce lausannois, notamment de luxe.

Quoi qu’il en soit, Laurence Cretegny, présidente de la commission politique de la mobilité du TCS Vaud, tient dans tous les cas à rappeler l’importance de la complémentarité des moyens de transport. «Des itinéraires et des accessibilités à travers Lausanne doivent donc être garantis à toutes les mobilités», relève-t-elle.

Bien que l’avenir du Grand-Pont semble en bonne partie tracé, les discussions autour de son accès s’annoncent très animées.

Une fête pour le Grand-Pont

Afin de célébrer comme il se doit la fin de ce chantier, une exposition gratuite et destinée à toutes et tous a été organisé par la Ville de Lausanne durant le week-end du 26 et 27 novembre 2022.

Texte écrit avec la collaboration de Catherine Hurschler

Une réponse sur « Double surprise autour du chantier du Grand-Pont »

La rue de Bourg haut-lieu du luxe ? J`ignorais que les stupéfiants faisaient partie des produits luxueux. Pour s`en convaincre : Il suffit de passer le soir tard dans la nuit et d`ouvrir juste un peu les yeux ! Mais comme pour l`arrêt de bus au nord de la Riponne on porte le regard ailleurs. Circulez, il n`y a rien à voir !

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